[lectcriture] Bruits cannibales

« Il faudra bien en finir ! » hurlait ad libitum à un coin de rues depuis sa fenêtre un vieux qui n’a pas compris pourquoi le monde est ainsi stupide et, ou, absurde. Il jetait ses cris dans l’air poussiéreux.

Eux se frayaient un chemin dans le volume sonore du monde justement, toujours lui, cris qui se frayaient un chemin jusqu’à se perdre, à entrer dans la danse, dans la grande bataille des bruits luttant pour dominer les autres, parce que tel est le destin fugace des bruits, écraser ou disparaître en brouhaha. Les petits bruits résistent tant bien que mal grâce parfois à la stridence dont ils savent faire preuve, mais souvent, finissent dévorés par plus gros qu’eux. Le bruit d’une feuille d’arbre qui choit sur le trottoir est happé par le bruit d’une trotteuse de montre mécanique qui est happé par le bruit du vol d’un oiseau qui est happé par le sifflement d’un passant qui est happé par les jappements d’un chien curieux qui sont happés par le sifflement de la sirène de l’école toute proche qui est happé par le passage d’une voiture qui est happé par le brouhaha des millions de pas qui résonnent sur le bitume dans toute la ville qui est happé par le passage d’un bus un peu vieux qui est happé par le démarrage vertigineux d’une moto soumise à son pilote qui est happé par le passage d’un train à grande vitesse ne marquant pas d’arrêt dans la gare de cette ville parce que c’est un Express qui est happé par le hurlement d’un avion au décollage qui est happé par la symphonie ronronnante de tous les moteurs en marche au même moment dans la ville qui est happé par la somme de tous les bruits nés de la mécanique naissants dans cette cité qui sont happés enfin par la rumeur tonitruante de la terre entière que le vieux fustigeait du haut de sa fenêtre sans persienne, lui même à deux doigts de choir sur le bitume huit étages plus bas dans un fracas propre à couvrir le bruit de ses propres cris désespérés.

Mais il en est ainsi de l’essence des bruits que de tenter de se faire aussi gros que le bœuf qui mugit devant l’abattoir.