Albin. 1947-2010.

Il est environ sept heures. Le jour se lève, c’est une belle journée.

En écrivant ces lignes compliquées, j’écoute le merveilleux Requiem de Gabriel Fauré. Ce pourrait être un beau matin de printemps.

Tu sais, un des ces matins qui nous surprennent par la vitalité qu’ils nous confèrent, un de ces matins qui nous font nous dire que finalement, même les plus hautes montagnes ne sont pas insurmontables.

Tu dois bien t’en douter, il y a quelques années déjà que je redoute ce moment qui nous réunit aujourd’hui autour de toi.

Je me souviens ce matin d’une phrase que tu m’as donné, il y a longtemps. Tu m’avais emmené au travail avec toi un mercredi, j’étais fier et content de cela. J’avais une douzaine d’années peut-être, ou plus, je ne me souviens plus.

Juste avant de me laisser dans la voiture  pour aller voir un client, tu m’avais lâché sybillinement « C’est une saloperie l’alcool »

J’ai alors pris cela comme une recommandation solennelle d’un père à son fils.

Tu sais, de celles qui font naître dans nos esprits d’adolescents le sempiternel « cause toujours, tu m’intéresses ».

Parce qu’à cet âge là, on a envie de bouffer le monde.

Envie d’avoir toujours raison envers et contre tous pour masquer notre angoisse de grandir.

J’ai compris depuis, malheureusement, le sens de cette phrase.

Nous avons partagé pas mal de choses ensemble, et puis il y a tant d’autres choses que nous n’avons pu ou pas su partager.

Qu’importe. Je me fous bien se savoir ce qui est bien ou mal, ce que nous avons réussi ou raté.

Il n’y a que les esprits mesquins pour faire de tels comptes. Nous n’en sommes pas.

Je sais bien que je suis fait de ce que tu m’as donné mais aussi de ce que tu m’as refusé, volontairement ou non.

Je sais que je te dois ce que je suis.

Je le sais d’autant plus que je suis père moi aussi. Je sais qu’à cet instant, mes enfants pensent à toi aussi.

Je le sais d’autant plus lorsque je me croise dans le miroir le matin, à mesure que les années passent pour moi aussi. Je te ressemble beaucoup.

Je sais aussi que même si nous ne parlions pas la même langue, tu as toujours été là.

Mes mots sont malhabiles à traduire ce que je vis depuis l’annonce de ta disparition. Ta montagne était trop grande probablement.  Depuis des années, je me demandais quand ton calvaire prendrait fin. C’est aujourd’hui.

Nul doute qu’aujourd’hui tu as trouvé la tranquillité après laquelle tu as courue toute ta vie.

Il est huit heures. Le jour se lève, c’est une belle journée. En écrivant ces lignes compliquées, j’écoute le merveilleux Requiem de Gabriel Fauré. Ce pourrait être un beau matin de printemps.

Repose en paix. Enfin.