[lectcriture] La revue de détail (5)
Depuis combien de temps était-elle seule ? Calculer l’aurait déprimé. Elle a préféré sortir, descendre dans la rue, pour se laisser avaler par le bruit de la ville, comme si elle avait le pouvoir de se dissoudre dans les quatre-vingt décibels du brouhaha n’être plus qu’un nuages d’atomes. Le son est un mur. Il lui suffit d’ouvrir la porte de l’immeuble pour qu’elle s’y cogne violemment, sois contrainte d’attendre que son cerveau s’habitue au marmonnement désespéré des voitures rangées les unes derrière les autres, on aurait dit sagement, qui n’avancent qu’à 2,7 kilomètres par heure en moyenne sur cette artère fréquentée, trop fréquentée. Elle avait pour projet initial de sortir, de prendre à droite pour se rendre au grand parc à peut-être un kilomètre et demi de là et se caler sous un arbre avec son livre, une version chic en belle reliure des œuvres complètes de Garcia Lorca. Par esprit de contradiction de son propre désir, elle mit le cap à gauche et remonta l’avenue au lieu de la descendre, en se demandant comment les habitant de l’autre versant, les immeubles en face de chez elle, considéraient cette question jamais vraiment tranchée avec certitude aucune règle n’existant à ce jour pour en préciser le sens, cette question de savoir ce qui concourrait au fait qu’un individu remonte une rue au lieu de la descendre, comme les marseillais montent à Paris alors que la différence d’altitude entre les deux villes ne justifient pas une telle expression.
Sous ses pas la rue s’élevait, elle prit ensuite à droite, puis à gauche à la quatrième, puis la deuxième à droite, franchit trois carrefours imposants, fit une halte pour acheter un paquet de cigarettes et deux oursons en guimauve, reprit à droite, puis à gauche. Elle savait où elle allait, cet autre parc, un peu plus éloigné du centre ville, ceint d’une barre de beaux immeubles du XIXe et d’une voie de circulation à sens unique qui limitait grandement la circulation, donc le bruit, donc la fatigue, donc la pollution, donc l’énervement. Le parc était presque désert, il y était interdit, comme dans de nombreux parc, de marcher sur les pelouses mais elle savait, pour le fréquenter régulièrement, qu’il n’y avait jamais vraiment d’agent assermenté pour venir contrôler le respect de cette règle frustrante et qu’on pouvait donc en toute quiétude s’en affranchir. Elle connaissait de plus un recoin du jardin, face à la bouche impuissante d’une impasse, où elle pourrait se glisser derrière une grand platane à l’abri des regards, dans un repli du temps. Comme d’habitude aux heures d’occupations des humains, qu’ils soient écoliers ou travailleurs, il n’y avait que les oisifs qui tenaient salon avec leur solitude dans ce lieu où étaient rassemblées des essences endémiques du pays, sans grande originalité dans l’agencement. Quelques personnes âgées en route pour l’épicerie y prenait en peu de repos en le traversant, les bancs avaient été judicieusement placés le long de l’allée centrale, un tous les 5 mètres, de chaque côté pour qu’ils se fassent face à 5 mètres de distance, l’allée devant en mesurer six de large au bas mot, un couple d’étudiants fugueurs, un executive guy qui se pose pour régler là quelques problèmes personnels en parlant dans son téléphone tout en marchant en rond comme s’il avait été pris dans le mouvement que les architectes avaient glissé avec malice dans le dessin du jardin, il semblait agité, sous les yeux d’une dame bien âgée assise sur le quatrième banc en partant de la droite, assise bien droite les deux mains posées sur son chariot à roulette à motif écossais. Peut-être jugeait-elle de la qualité du costume. Ou de l’allure de ce bel homme qui lui rappelait peut-être une connaissance. Son père ? Un amant ? Un frère ? Un ami ? Un curé ? Elle ne semblait pas avoir trouvé la solution lorsqu’elle repris son chemin, comme tous les deux jours, après onze minutes de pause, ce jour-là les oiseaux ne chantaient pas.
L’homme lui continua de parler à voix basse mais avec agitation encore une douzaine de minutes avant de déserter les lieux, probablement mis en retard par cette conversation. Derrière son arbre, la poésie de Lorca avait fini par faire effet. Elle s’était assoupie, enveloppée dans des rêves étranges qui prenait plaisir malin à mélanger le passé, le présent et le futur, le temps avait été chassé de cette histoire dans laquelle elle passait des bras de sa mère aux bras de son premier amant, puis du deuxième, puis du troisième, puis du quatrième, comme une cascade, comme Charybde en Scylla sans qu’elle puisse freiner ou s’extraire de ce long plongeon dans le futur elle se regardait aussi dans les bras d’hommes dont elle ne connaissait pas l’intimité, elle ignorait même l’identité de certains d’entre-eux, ceux là n’étaient dans le songe que des images éthérées probablement issues, extirpées de sa mémoire, des visages, des postures qui avaient pu la marquer, elle essaya de toucher l’un de ces spectres mais il la fit glisser dans les bras d’un autre spectre, ce qui la fit trébucher et partir la tête en avant.
Par curiosité et nonchalance j’ai commencé à lire, je me suis laissée prendre par le rythme et le style qui m’ont plu. Merci pour ce partage, j’espère qu’il y aura une suite.
Il y aura une suite oui. Dans quelques jours. 🙂 merci.