[lectriture] La revue de détail (2)

Elle aimerait là pouvoir lisser la peau, appuyer avec le bout de son index avec fermeté, glisser son doigt et que sous la pression la peau retrouve la tension de sa jeunesse, dans un élan revigorant. Retrouver un peu de la folie furieuse qui guette au sortir de l’adolescence, quand tout est possible et si peu accessible, ces tensions qui font battre le cœur, foutent la trouille au ventre, l’heure des choix qu’on aura tôt ou tard à regretter un peu ou beaucoup, elle regarde ses paupières dans le miroir, se demande combien de fois ont-elles cligné depuis sa naissance puis se dit immédiatement que c’est complètement stupide ce genre d’idées, essaye de se souvenir à la place du nombre de fois qu’elle a été obligée de détourner le regard parce que mise mal à l’aise par un autre regard, troublée, au point de vouloir se cacher, échapper.

Elle aimerait bien là que la peau soit tendue de nouveau, qu’elle glisse sous son doigt sans aspérité. Le miroir est sage ce matin, tendre et bienveillant. Par la fenêtre le soleil se glisse maintenant généreusement dans la pièce. Elle s’assoit sur le rebord de la baignoire et regarde ses jambes. Elle n’a jamais trop prêté attention à ses cuisses mais d’un coup les trouve un peu trop renflées, rebondies, comme si elle venait s’enchâsser sur ses genoux un peu maladroitement. Ses chevilles sont restées fines, aucune entorse n’est passée par là pour créer un dimorphisme voyant. Elle parvient toujours à glisser ses pieds dans des chaussures étroites, du type de celles qu’elle affectionne porter au printemps, quand il ne fait ni trop chaud ni trop froid, quand le corps et la peau redécouvrent à petite dose le bonheur d’être exposés à l’air libre, c’est comme une drogue, un rayon de soleil qui vient s’égarer sur la nuque et fiche des frissons jusque dans le creux des reins, ou sur une épaule, au petit matin, quand le café fume dans la tasse et qu’à peine vêtue, directement sortie du lit, elle attend que le café termine de couler en s’appuyant à la porte vitrée qui donne sur le petit balcon.

De soleil point ce matin. Les nuages sont posés sur la ville en chape de plomb, laissent filer quelles gouttes paresseuses. C’est une fin d’été. Il ne fait pas encore froid mais la maigre chaleur permise par cette latitude déjà s’est fait la malle. La vie a repris son bourdonnement fuyant les congés d’été passés, chacun a repris son poste, gardant pour lui les frustrations des ces semaines, trop courtes, pour n’en garder que le sel, histoire de tenir jusqu’à la prochaine pause estivale, des rêves plein les poches qui seront remplacés par des monceaux de frustration, qui seront remplacés par des tas de rêves nouveaux, qui finiront chassés par de nouveaux monceaux de frustration. Ainsi va l’été du monde moderne, ou chacun imagine une renaissance qui se termine toujours par un retour à la réalité. Dans son miroir, appuyant sur les rides qui zèbrent le coin de ses yeux, elle vit cette frustration, comme tous les autres, c’est une rengaine, le retour de congés qu’on raconte bien mieux qu’ils n’ont été pour ne pas perdre la face, des vacances se doivent d’être réussies, comme aujourd’hui on attend de chacun qu’il trouve au quotidien matière à se réjouir, à parader comme un vieux paon con, un torero sexagénaire qui pousse encore sa carcasse dans le ruedo pour le frisson de la lumière. Elle est là devant son miroir et cherche la lumière. Et ce ne sont les mots de ses amants qui y changeront quelque chose, qu’ils aiment ces petites rides aux coins des yeux, qu’ils y trouvent du charme, sincèrement ou par flagornerie n’y changera rien. Ce putain de miroir restera un putain de miroir. Désespérément fidèle.